Perspective ESG : qu'est-ce que le capital naturel et pourquoi s'en préoccuper ?
Adrienn Sarandi, responsable mondial des initiatives stratégiques et des solutions ESG, nous explique pourquoi l'intégration des risques et des opportunités liés au capital naturel peut permettre aux investisseurs d'identifier précocement les risques systémiques et d'allouer des capitaux à des solutions qui soutiendront une économie plus durable.
7 minutes de lecture
Principaux points à retenir :
- La nature représente une valeur économique de plusieurs milliers de milliards de dollars et sa dégradation constitue un risque systémique pour les gouvernements, les entreprises et les investisseurs.
- L'ampleur de la perte de biodiversité et de la dégradation des écosystèmes est alarmante et il est urgent d'agir pour préserver les espèces et les écosystèmes vulnérables qui sont à la base de notre économie et de notre société et qui rendent la vie humaine possible.
- La publication imminente du cadre TNFD devrait améliorer les informations relatives à la biodiversité et aider les investisseurs à évaluer les dépendances et les impacts liés à la biodiversité.
Qu'est-ce que le capital naturel ?
Le capital naturel est le stock collectif mondial de ressources naturelles renouvelables et non renouvelables, en particulier la géologie, l'atmosphère, la lumière du soleil, le sol, l'air, l'eau et les organismes vivants. De l'air que nous respirons à la nourriture que nous mangeons, les actifs du capital naturel nous fournissent gratuitement des biens et des services inestimables.
Le capital naturel inclut tous les organismes vivants que nous baptisons « biodiversité ». Comme nous l'avons exploré dans notre brochure 2022 La biodiversité, l'autre crise systémique, la biodiversité peut être définie comme le volume, la variété et la variabilité de la vie sur Terre, ainsi que la manière dont les différentes espèces interagissent entre elles et avec le monde physique qui les entoure. La biodiversité permet le flux des « services écosystémiques » dont nous bénéficions et dont nous dépendons. Ces services écosystémiques rendent la vie possible.
Illustration 1 : les services écosystémiques
Facteurs et impacts de la perte de nature
L'ampleur et la rapidité de la détérioration des écosystèmes terrestres et marins de la planète sont frappantes. On estime qu'environ 70 % des espèces animales ont disparu depuis 1970 et qu'un million d'espèces sont actuellement menacées d'extinction*. Entre-temps, les humains et le bétail domestiqué (principalement les vaches et les porcs) représentent aujourd'hui 96 % de la biomasse totale des mammifères.
La situation est tout aussi préoccupante dans les eaux de la Terre. Chaque année, nous déversons huit millions de tonnes de plastique dans la mer, soit environ un camion poubelle par minute. Les récifs coralliens et les écosystèmes marins deviennent des terres stériles en raison de la pollution et de l'augmentation de la température de la mer. La surexploitation des poissons et d'autres espèces pour se nourrir a également entraîné leur forte diminution.
Par voie de conséquence, la « sixième extinction de masse » est en cours, avec cinq facteurs clés liés à l'activité humaine.
Illustration 2 : cinq facteurs clés de l'extinction des espèces
Tout comme le changement climatique, la perte de biodiversité représente à la fois un risque systémique pour des économies entières et un risque pour des entreprises individuelles. Le changement climatique et la dégradation de la nature sont également étroitement liés et se renforcent mutuellement. À titre d'exemple, la déforestation entraîne une perte d'habitat et de biodiversité, ainsi qu'une réduction de la capacité de séquestration du carbone, ce qui aggrave la crise climatique. Le changement climatique réduit la biodiversité en raison de l'augmentation de l'incidence et de la gravité des phénomènes météorologiques extrêmes, qui dégradent les habitats et peuvent entraîner la désertification et l'acidification des océans. Les écosystèmes marins touchés par la disparition d'espèces absorbent moins de carbone. Ces deux défis s'articulent autour de points de basculement qui, une fois franchis, conduisent à des résultats imprévisibles et potentiellement dévastateurs.
Raisons d’être
La nature est à la base de notre économie, de notre société et rend la vie humaine possible. Plus de la moitié du produit intérieur brut (PIB) mondial, soit 44 000 milliards de dollars, dépend modérément ou fortement de la nature et de ses services, ce qui signifie que la dégradation des écosystèmes pourrait mettre en péril le fonctionnement de la société et de l'économie mondiale. Malgré cela, le capital naturel a été sous-évalué par rapport au capital produit et au capital humain. À titre d'exemple, les services écosystémiques ont toujours été exclus des bilans nationaux. C'est pourquoi nous avons besoin d'une collaboration mondiale pour commencer à prendre en compte la dégradation de la nature.
Pour illustrer ce défi, le « jour du dépassement » de la Terre a eu lieu le 2 août 2023. Cette date marque le moment où la demande de l'humanité en ressources et services écologiques dépasse ce que la Terre peut régénérer au cours d'une année donnée. Dans les 151 jours restants de 2023, nous fonctionnons en dépassement. Selon les estimations, nous avons besoin de 1,7 Terre pour maintenir le mode de vie actuel de l'humanité. En outre, le jour du dépassement est de plus en plus précoce depuis les années 1970 et nous épuisons les ressources à un rythme de plus en plus rapide et insoutenable.
Des systèmes sociétaux et environnementaux sains sont essentiels au fonctionnement des systèmes économiques. Le fossé entre les exigences de l'humanité vis-à-vis de la nature et la capacité de cette dernière à les satisfaire se creuse et menace la fourniture continue des services écosystémiques essentiels qui sous-tendent les secteurs économiques clés, comme le montre l'Illustration 3.
Illustration 3 : dépendances des secteurs à l'égard de la nature
Source : Forum économique mondial et PwC 2020 "Nature Risk Rising : Why the Crisis Engulfing Nature Matter for Businesses and the Economy" (Augmentation du risque naturel : pourquoi la crise qui affecte la nature est importante pour les entreprises et l'économie).
Le point de vue et l'approche de Janus Henderson
Chez Janus Henderson, nous considérons que l'ampleur et la gravité des dommages causés à la nature et leurs nombreuses répercussions représentent des risques financiers importants à long terme pour certains secteurs et émetteurs. L'analyse montre que ces risques sont concentrés dans les secteurs les plus dépendants de la nature, notamment l'agriculture, la sylviculture et la pêche, les services publics de distribution d'eau et de chaleur, l'alimentation et les boissons, l'exploitation minière, les transports et la construction.
Les risques sont multidimensionnels et certaines entreprises seront très exposées aux effets physiques de la dégradation de la nature, tandis que d'autres seront exposées à des risques de transition liés à la politique et à la réglementation. Les risques de litiges, la perte de réputation, les atteintes à la marque et l'évolution de la demande des consommateurs présentent également des risques significatifs, mais également des opportunités potentielles de gains de parts de marché pour les entreprises.
En intégrant financièrement les risques matériels associés au déclin du capital naturel, les investisseurs ont la possibilité de construire des portefeuilles plus résistants et de contribuer à la restauration de la nature en s'engageant avec les entreprises à réduire leur impact négatif sur la biodiversité et à formuler des solutions innovantes. Elles devront être soutenues par des politiques gouvernementales favorables à la nature et par un cadre pratique permettant leur mise en œuvre.
La qualité et la profondeur des données et des informations sur la nature et la biodiversité sont encore balbutiantes, en grande partie parce que la cartographie des dépendances et des impacts est une entreprise complexe et difficile pour les entreprises, les investisseurs et les gouvernements. Cependant, grâce au cadre TNFD, nous espérons que la divulgation d'informations par les entreprises s'améliorera sensiblement dans les années à venir et que les acteurs du marché financier pourront progresser plus rapidement dans la mise en évidence des dépendances et des impacts liés à la nature dans le cadre de leurs investissements.
Ouvrir la voie à l'avenir
Malgré ces statistiques désastreuses, il y a de l'espoir. La nature est remarquablement résistante et les écosystèmes et la faune peuvent se régénérer, même dans des zones que l'on croirait impensables. Toutefois, cela n'est possible que si nous respectons les frontières planétaires** (les limites dans lesquelles l'humanité peut se développer et prospérer) et si nous ne conduisons pas les écosystèmes jusqu'au point de non-retour.
La perte de biodiversité étant l'une des limites planétaires les plus critiques que nous avons déjà dépassées, le temps presse. Nous devons commencer à évaluer le capital naturel de manière appropriée afin de passer à un modèle économique plus durable qui reconnaisse l'importance de la nature pour l'économie et notre bien-être. Cela nécessitera une modification des systèmes***.
Nous faisons évoluer en permanence notre approche réfléchie, pratique et axée sur la recherche afin d'identifier les risques et les opportunités liés aux interactions des entreprises avec la nature dans le cadre de leurs activités et de leurs chaînes d'approvisionnement. Nous utilisons des données tierces relatives à la biodiversité, lorsqu'elles sont disponibles, et un engagement continu comme outil clé pour comprendre les dépendances et les impacts liés à la nature de nos entreprises en portefeuille.
Ces dernières années, nous nous sommes engagés sur des questions liées à la biodiversité telles que la déforestation (bétail, huile de palme, soja) et les déchets plastiques dans le cadre de nos programmes thématiques d'engagement à long terme. Ces engagements ont été menés par nos équipes d'investissement, avec le soutien et la collaboration de l'équipe centrale de responsabilité. Nous sommes également membres du forum TNFD et du groupe de référence sur la nature des Principes pour l'investissement responsable récemment lancé, et nous deviendrons un membre fondateur de Nature Action 100 en septembre 2023, où nous chercherons à engager le dialogue avec des entreprises sélectionnées sur leur préparation à l'atténuation des risques liés à la nature.
* World Wildlife Fund (2022) : 69 % de déclin moyen des populations d'animaux sauvages depuis 1970, selon un nouveau rapport du WWF | Communiqués de presse | WWF (worldwildlife.org)
** Doughnut Economics, Kate Raworth 2017 - 9 frontières planétaires / limites environnementales à l'intérieur desquelles l'humanité peut continuer à se développer et à prospérer pour les générations à venir. Dans le modèle dit Doughnut, l'économiste Kate Raworth affirme que l'humanité doit vivre à l'intérieur de ces limites écologiques (ou 9 seuils à ne pas dépasser pour éviter une dégradation naturelle qui aurait des conséquences irréversibles).
*** World Resources Institute - Qu'est-ce que le changement de système ? Le changement de système peut être défini comme la modification des éléments constitutifs d'un système, et du modèle d'interactions entre ces éléments, pour finalement former un nouveau système qui se comporte différemment.
Définitions :
Séquestration du carbone : un processus (naturel ou artificiel) par lequel le dioxyde de carbone est retiré de l'atmosphère et conservé sous forme solide ou liquide, arbres par exemple.
Produit intérieur brut (PIB) : valeur de tous les produits et services finis produits par un pays, sur une période spécifique (généralement trimestrielle ou annuelle).
Risque systémique : risque d'un changement critique ou préjudiciable au système financier dans son ensemble, qui fragiliserait tous les marchés et toutes les classes d'actifs.
Groupe de travail sur la divulgation financière liée à la nature (« Taskforce on Nature-related Financial Disclosures » ou TNFD) : un cadre de gestion des risques et de divulgation pour les organisations afin de signaler et d'agir sur les risques évolutifs liés à la nature.
Informations importantes :
L’investissement ESG (environnemental, social et de gouvernance) ou durable prend en considération des facteurs allant au-delà de l’analyse financière traditionnelle. Cette approche peut limiter les investissements disponibles et conduire à des performances et des expositions différentes. Ces dernières peuvent s’avérer plus concentrées dans certains domaines que le marché dans son ensemble.
Les opinions exprimées sont celles de l'auteur au moment de la publication et peuvent différer de celles d'autres personnes/équipes de Janus Henderson Investors. Les références faites à des titres individuels ne constituent pas une recommandation d'achat, de vente ou de détention d'un titre, d'une stratégie d'investissement ou d'un secteur de marché, et ne doivent pas être considérées comme rentables. Janus Henderson Investors, son conseiller affilié ou ses employés peuvent avoir une position dans les titres mentionnés.
Les performances passées ne préjugent pas des résultats futurs. Toutes les données de performance tiennent compte du revenu, des gains et des pertes en capital mais n'incluent pas les frais récurrents ou les autres dépenses du fonds.
Les informations contenues dans cet article ne constituent pas une recommandation d'investissement.
Il n'y a aucune garantie que les tendances passées se poursuivront ou que les prévisions se réaliseront.
Communication Publicitaire.