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Réalité contre fiction : le marché européen de la titrisation après la crise financière mondiale

Le mythe selon lequel les titrisations ne sont pas faciles à comprendre est apparu pendant la crise financière mondiale. Dans le cadre d’une série sur la titrisation européenne, Colin Fleury, Responsable du crédit garanti, examine le fonctionnement des titrisations et l’évolution du secteur depuis la crise.

Colin Fleury

Colin Fleury

Head of Secured Credit | Portfolio Manager


25 octobre 2024
8 minutes de lecture

Principaux points à retenir :​

  • Le mythe selon lequel les titrisations sont « opaques », « complexes » et « risquées » est né à l’époque de la crise financière mondiale, où des attentes optimistes en matière de défaut de garantie et le risque de levier de certaines titrisations par rapport à l’effondrement de l’immobilier ont perpétué cette croyance.
  • Le secteur de la titrisation a connu d’importants changements structurels depuis la crise financière mondiale, le renforcement des normes et l’amélioration de la transparence ayant ravivé la confiance dans le marché et amélioré sa solidité.
  • Le marché européen de la titrisation a atteint une taille équivalente à celle du marché européen du haut rendement et représente un ensemble d’opportunités diverses en termes de pays et de garanties sous-jacentes pour les investisseurs multi-actifs.

Qu’est-ce qu’un actif titrisé ?

La « dette titrisée » désigne les titres financiers garantis par des flux de trésorerie contractuels provenant d’actifs tels que des hypothèques, des créances de cartes de crédit et des prêts automobiles. Le pool d’actifs sous-jacents est financé par l’émission d’obligations qui sont structurées en tranches, avec des profils de risque différents en fonction de leur rang dans la structure du capital de la titrisation. Les flux de trésorerie provenant des prêts sous-jacents (sous la forme de paiements d’intérêts et de capital) servent ensuite à payer les intérêts et à rembourser le capital des différentes tranches de titrisation – sous réserve de la performance de crédit du pool de prêts.

Le processus de transformation de ces actifs quotidiens en instruments financiers est appelé « titrisation ». L’expression « titres adossés à des actifs » ou « ABS » est également souvent employée comme terme générique pour désigner ces instruments. Par souci de simplification, nous employons généralement le terme « titrisé ». Dans le cadre d’une série pédagogique sur la titrisation européenne, nous opposons la réalité à la fiction en montrant que le processus de titrisation est en réalité assez simple et que la qualité du crédit peut être améliorée grâce au rehaussement de crédit. Nous examinons également l’évolution du secteur depuis la crise financière mondiale.

Comment les actifs sont-ils titrisés ?

Le processus de titrisation commence généralement par la vente, par une institution financière (ou initiateur), d’un ensemble d’actifs à une entité ad hoc (SPV). Cette entité ad hoc est une personne morale distincte dont la seule fonction consiste à acheter ces créances. L’entité ad hoc finance l’acquisition de ces actifs en levant différentes tranches de dettes et de capitaux propres.

Elle utilise ensuite les flux de trésorerie générés par les actifs achetés pour rembourser les investisseurs et leur assurer une performance. La titrisation crée une « immunisation contre le risque de faillite » qui, en fin de compte, transfère le risque de la garantie titrisée hors de l’initiateur de l’actif, toute l’exposition étant transférée aux investisseurs. Ce processus génère des gains d’efficacité au sein du système financier en libérant les bilans pour financer de nouvelles activités de prêt.

Schéma 1 : Le processus de titrisation

Comment fonctionne la titrisation ?

À titre d’illustration uniquement. La marge excédentaire représente les intérêts nets perçus sur un portefeuille de prêts, après déduction des intérêts et des frais liés à la dette titrisée.

L’entité ad hoc émet des titres par ordre de priorité pour les vendre aux investisseurs. Les structures des opérations peuvent aller de la simple tranche de dette à des offres multitranches plus complexes qui couvrent le spectre du crédit, en fonction de la qualité du crédit, des flux de trésorerie et de la diversification. Comme le montre le Schéma 1, en cas de défaillance du portefeuille de prêts sous-jacent, les fonds propres d’une structure titrisée protègent les obligations, les pertes n’étant réalisées par les tranches de dette par ordre de priorité (AAA en dernier) qu’une fois les fonds propres entièrement amortis.

Amélioration de la qualité du crédit

Cette forme de rehaussement de crédit, appelée « découpage en tranches », crée également une structure en cascade, dans laquelle les flux de trésorerie sont d’abord alloués aux tranches les mieux notées et descendent ensuite vers les tranches les moins bien notées. Pour compenser le risque supplémentaire, les investisseurs dans les tranches de rang inférieur reçoivent un meilleur rendement que ceux qui se situent plus haut dans la structure du capital. Le découpage en tranches confère également aux investisseurs la possibilité d’adapter leurs portefeuilles à des objectifs de risque et de performance spécifiques, puisqu’il détermine les profils de remboursement et de crédit d’une obligation donnée dans la structure.

Les autres formes de rehaussement de crédit visant à améliorer la qualité de crédit de la dette titrisée sont les suivantes :

  • La surcollatéralisation, lorsque la valeur nominale des actifs sous-jacents de la réserve de garanties est supérieure à celle des obligations qu’il garantit, ce qui apporte une protection à toutes les tranches.
  • L’écart excédentaire, qui constitue souvent la première ligne de défense pour absorber les éventuelles pertes, correspond à la situation où les intérêts perçus sur la réserve de garanties dépassent le coupon exigible sur les titres et les dépenses.
  • Les fonds de réserve de trésorerie, souvent financés par l’initiateur, destinés à couvrir les pertes d’intérêts et de frais, ainsi que les pertes dans la réserve de garanties.

Les structures titrisées peuvent être totalement ou partiellement amortissables, c’est-à-dire que les remboursements du portefeuille de garanties sous-jacentes sont utilisés immédiatement ou après un certain temps pour rembourser le principal. Cela peut jouer un rôle important dans la réduction des risques : le remboursement progressif des tranches de la dette signifie que les investisseurs prennent moins de risque de refinancement de l’emprunteur que les obligations d’entreprise, qui ont généralement un paiement important du principal à l’échéance.

Comment la titrisation européenne a-t-elle évolué depuis la crise financière mondiale ?

L’émission de titres a débuté dans les années 1970, lorsque les agences gouvernementales américaines ont commencé à regrouper les prêts hypothécaires. Les banques ont ensuite émis des titrisations européennes à la fin des années 1980, comme outil de financement pour libérer du capital et transférer le risque de crédit hors de leurs bilans. Le marché a ensuite connu une croissance significative dans la période précédant la crise financière mondiale de 2007/2008, l’encours total de la dette titrisée placée – émission vendue aux investisseurs plutôt que conservée par les entités émettrices – en Europe atteignant environ 1 000 milliards d’euros en 20101. Depuis la crise, l’offre européenne annuelle oscille autour de 100 milliards d’euros, avec des émissions en net recul par rapport aux niveaux d’avant la crise financière mondiale. Toutefois, cette tendance a récemment commencé à s’accentuer, les émissions primaires du premier semestre 2024 ayant doublé pour atteindre près de 104 milliards d’euros par rapport à la même période en 20232.

Il est indéniable que la perception de la titrisation a été entachée par les performances des titrisations adossées aux prêts hypothécaires résidentiels américains (RMBS) pendant la crise financière mondiale. À l’époque, la forte demande des investisseurs et les attentes trop optimistes en matière de défaut de garantie – appuyées par les agences de notation – ont alimenté des pratiques de prêt insoutenables. L’absence de contrôles et d’équilibres appropriés, notamment en ce qui concerne certains emprunteurs américains à risque, a entraîné d’importantes pertes en capital qui se sont répercutées sur les structures titrisées. C’est notamment le cas des CDO (Collateralised Debt Obligations) –titrisations de certains actifs financiers – qui ont acheté des tranches de dette plus risquées de titrisations de prêts hypothécaires américains, en augmentant leur risque par rapport à l’effondrement de l’immobilier aux États-Unis. En revanche, les titrisations européennes se sont nettement mieux comportées, faisant preuve d’une plus grande résistance que leurs homologues américaines tout au long de la crise financière mondiale (Schéma 2).

Schéma 2 : La titrisation européenne s’est mieux comportée que la titrisation nord-américaine pendant la crise financière mondialeLes pertes de la titrisation européenne par rapport à la titrisation américaine pendant la crise financière mondiale

Source : Fitch Ratings, février 2021. Les pertes indiquées sont celles des millésimes 2000-2008. Les pertes indiquées dans les graphiques comprennent à la fois les pertes réalisées et celles qui sont encore attendues au moment de la rédaction du rapport. Les performances passées ne préjugent pas des performances futures.

Depuis la crise financière mondiale, le secteur a connu d’importantes évolutions structurelles. L’accent a été largement mis sur les pratiques de gestion des risques des investisseurs, le resserrement des critères d’origination des actifs, le renforcement des exigences de transparence et des normes des agences de notation, ce qui a permis de rétablir la confiance sur le marché et d’en accroître la solidité.

À partir de 2019, la mise en œuvre du Règlement européen sur la titrisation (SECR) a encore renforcé les exigences relatives à la classe d’actifs. Par exemple, les initiateurs sont désormais tenus de s’investir, en conservant au moins 5 % de l’intérêt économique net d’un actif titrisé3, afin de se prémunir contre le type d’aléa moral observé dans la période qui a précédé la crise financière mondiale. Le règlement SECR a également établi des lignes directrices claires exigeant la production de données sur les prêts dans des formats normalisés, avec une obligation de divulgation complète des données. Elle a introduit un label volontaire « Simple, Transparent, Normalisé » pour les titrisations4, où l’émission de ces structures simples de haute qualité a augmenté au cours des dernières années5. En conséquence, la normalisation et la transparence des structures se sont accrues.

Depuis, le marché européen de la titrisation a gagné en liquidité et en importance. En Europe, l’encours des émissions placées s’élevait à 558 milliards d’euros à la fin du mois de mars 20246, les obligations de prêts garantis (CLO) représentant la plus grande part du marché, soit 41 % (Schéma 3). Ce montant est à peu près équivalent à l’encours de la dette du marché européen à haut rendement7.

Schémas 3 & 4 : Le marché européen de la titrisation par secteur et par pays

Répartition sectorielle du marché européen de la titrisation

Ventilation du marché européen de la titrisation par pays

Source : Janus Henderson Investors, JPM & AFME, au 31 mars 2024. Questions européennes en suspens. ABS = Asset-Backed Securities, CLO = Collateralised Loan Obligation, CMBS = Commercial Mortgage-Backed Securities, MBS = Mortgage-Backed Securities, RMBS = Residential Mortgage-Backed Securities, SME ABS = Small and Medium sized Enterprises Asset-Backed Securities. Les allocations sont susceptibles d’être modifiées sans préavis.

Les opportunités offertes par le marché européen de la titrisation sont donc diverses, car elles permettent d’accéder à de nombreux pays (et à différents facteurs macroéconomiques) ainsi qu’à divers types de garanties sous-jacentes. Certaines garanties, comme les contrats de location ou les créances de cartes de crédit, sont liées au consommateur, offrant ainsi des expositions à l’« économie réelle » qui diffèrent de l’exposition au risque dans le crédit aux entreprises. Investir dans le secteur européen de la titrisation peut donc contribuer à la diversification des portefeuilles. Dans le prochain numéro de cette série, nous examinerons plus en détail les principales caractéristiques du marché européen de la titrisation.

Notes de bas de page

1 Source : AFME, rapport du 4ème trimestre 2010.
2 Émission placée = 100 milliards d’euros. Source : Rapport sur les données de titrisation d’AFME, 4ème trimestre 2023 et ensemble de l’année 2023, 28 mars 2024. L’émission H1 comprend la dette australienne libellée en euros.
3 Les intérêts sont mesurés à l’émission, avec une rétention d’au moins 5 % de la valeur nominale de chacune des tranches vendues ou transférées aux investisseurs (ESMA).
4 Les critères de simplicité comprennent des exigences relatives à l’homogénéité des expositions sous-jacentes, aux normes de souscription et à la qualité de crédit des garanties. Les exigences de normalisation comprennent des déclencheurs d’amortissement anticipé, le retour au remboursement séquentiel axé sur le déclenchement de la performance, et une atténuation « appropriée » des risques de taux d’intérêt et de change. Parmi les exigences en matière de transparence figurent l’élaboration d’un modèle de flux de trésorerie du passif et d’au moins cinq ans de données historiques sur les défauts et les pertes pour des actifs similaires à la garantie sous-jacente de la transaction. S&P Global. Le respect de ces critères signifie que les actifs peuvent bénéficier d’un traitement préférentiel en matière de capital.
5 Source : AFME, à la fin de l’année 2023.
6 Source : Janus Henderson Investors, JPM & AFME, au 31 mars 2024.
7 Source : Données Bloomberg, au 27 août 2024. EU HY = 553 milliards d’euros.

Titres adossés à des créances hypothécaires résidentielles (RMBS) : Il s’agit d’ensembles de prêts hypothécaires résidentiels présentant des caractéristiques similaires et qui sont regroupés.

Marché primaire/secondaire : Les obligations nouvellement émises sont négociées sur le marché primaire, les émetteurs vendant leurs obligations directement aux investisseurs pour lever des capitaux (emprunter). L’achat ou la vente d’une obligation existante se fait sur le marché secondaire entre investisseurs.

Rehaussement de crédit : Stratégie de titrisation visant à améliorer la qualité du crédit et la notation des titres adossés à des actifs. Il s’agit d’un élément clé des opérations de titrisation, servant à réduire le risque de défaillance de l’émetteur.

Collateralised Loan Obligation (CLO) : Portefeuilles de prêts – dont la notation est généralement inférieure à celle d’un investissement – émis à l’intention des entreprises.

Titres adossés à des créances hypothécaires commerciales (CMBS) : Il s’agit d’un ensemble de prêts hypothécaires sur des biens commerciaux couvrant une série de secteurs, tels que les centres commerciaux et les parcs d’activités commerciales, les bureaux, les biens industriels tels que les entrepôts logistiques et le secteur de l’hôtellerie et de la restauration, y compris les hôtels.

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