En bref : La Fed ajuste sa stratégie après les présidentielles
Pour Jim Cielinski, Responsable mondial de la gestion obligataire, et Daniel Siluk, Responsable Global Short Duration, la tâche de la Fed est devenue plus ardue en ce qui concerne le pilotage de la transition vers ce nouveau régime de taux dans la mesure où elle doit composer avec les politiques économiques proposées par le Président Donald Trump.
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Principaux points à retenir :
- Avec une baisse de taux de 25 points de base en novembre et une autre prévue en décembre, la Fed montre implicitement qu'elle ne crie pas encore victoire dans le cadre de la lutte contre l'inflation.
- Au sein de l'institution, la question du niveau adéquat du taux neutre à long terme est sans doute déjà un sujet épineux, à plus forte raison depuis l'élection et le potentiel virage de la politique économique américaine.
- Compte tenu de la divergence entre les perspectives économiques et les niveaux des taux d'intérêt, les investisseurs obligataires devraient adopter une approche globale pour gérer les risques et saisir les opportunités de performances excédentaires.
Impossible de remettre dans son contexte la décision opérée cette semaine par la Réserve fédérale (Fed) sans tenir compte des résultats de l'élection présidentielle américaine. En effet, celle-ci intervient au milieu d'une période charnière pour la politique monétaire et les taux d'intérêt : les responsables de la Fed avaient accepté d'amorcer l'assouplissement de la politique monétaire et s'efforçaient d'anticiper le nouveau régime de taux, au même titre que les participants du marché. Comme nous le verrons plus loin, c'est dans ce nouveau régime de taux que les ramifications d'une deuxième administration Trump sont les plus susceptibles de se faire sentir.
Léger freinage
Le marché avait convenablement anticipé la réduction de taux des Fed Funds cette semaine (-25 pb) et nous pensons que les prévisionnistes visent dans le mille lorsqu'ils prédisent une itération équivalente en décembre. Ce rythme de réduction des taux est conforme à la trajectoire exprimée dans l'étude interne de la Fed au mois de septembre et légèrement supérieur à ce que les marchés prospectifs avaient anticipé à l'époque. Compte tenu de la robustesse de l'économie et de la résilience de l'emploi (factorisation comprise des événements récents comme les ouragans et les grèves), la Fed a été contrainte de revoir sa feuille de route.
Du fait du reflux de l'inflation et des prévisions selon lesquelles ce processus devrait s'inscrire dans la durée, la Fed a eu suffisamment de marge de manœuvre pour réduire les taux de 50 pb en septembre, de sorte à venir en aide au marché de l'emploi, lequel commençait à montrer des signes de faiblesse marginale. En revanche, une partie de la formulation accommodante du communiqué de septembre de la Fed a disparu, remplacée par des termes plus prudents comme « a fait des progrès » et « quelque peu élevé » pour évoquer l'inflation. Nous interprétons cela comme un clin d'œil non seulement à l'extension bienvenue du cycle économique, mais aussi à l'introduction d'une plus grande incertitude concernant les priorités de la future administration Trump en 2025.
Une question que les investisseurs ne sauraient ignorer et qui pourtant reste largement tue réside dans les effets qu'auront le virage de la politique commerciale, l'évolution de la réglementation et la gestion des déficits budgétaires sur la croissance, l'inflation et le taux neutre adéquat de la politique monétaire.
Sans inflation, pas de croissance ?
En réduisant les taux de 25 pb, la Fed indique que, pour le moment, les taux directeurs restent restrictifs et qu'elle a la possibilité de les réduire encore pour soutenir l'économie en fin de cycle. Et les données le confirment. En effet, la limité supérieure de l'objectif des Fed Funds à 4,75 % reste bien supérieure à l'inflation sous-jacente, que l'indicateur de choix de la Fed estime à 2,7 %.
En supposant que le rapport sur l'emploi de novembre tienne compte des bouleversements causés par les ouragans, la croissance soutenue de l'emploi a permis à la Fed de faire preuve d'autant plus de prudence dans le cadre de sa politique d'assouplissement monétaire, en attendant d'obtenir plus de clarté sur la manière dont l'économie pourrait répondre au programme du Président Trump.
Le marché a déjà calibré ses attentes, les projections d'inflation implicite à 10 ans intégrées dans les marchés de la dette souveraine atteignant 2,45 % au lendemain de l'élection, soit bien plus que le creux de 2,03 % enregistré en septembre. De même, les marchés à terme ont annulé près de 100 pb de baisses de taux d'ici à la mi-2025 par rapport à ce qui était prévu il y a seulement deux mois, ce qui indique que l'inflation reste un enjeu important.
Figure 1 : Inflation aux États-Unis
Alors que l'inflation a progressé vers l'objectif de 2 % de la Fed, la moyenne de l'inflation implicite à 10 ans, mesurée par les bons du Trésor indexés sur l'inflation (TIPS), a légèrement augmenté, le marché partant du principe que la politique commerciale de l'administration Trump sera favorable à la croissance.
Source : Bloomberg, au 7 novembre 2024.
Des lignes stratégiques inchangées
Compte tenu de la rhétorique du Président Trump tout au long de son précédent mandat et de sa campagne, le caractère sacré de l'indépendance de la Fed semble remis en question. Nous pensons que des garde-fous sont en place pour garantir que la Fed puisse poursuivre ses objectifs statutaires, sans que les priorités du gouvernement ne viennent lui faire obstruction. Néanmoins, le Président Trump pourrait marquer la banque centrale de son influence en nommant et en maintenant certains administrateurs. Les pressions politiques sur la Fed devraient par conséquent se poursuivre, mais comme lors de la précédente administration Trump, ces épisodes devraient selon nous se limiter à de la poudre aux yeux.
Ce qui intéresse davantage les investisseurs, c'est la politique économique, la posture de l'administration sur le commerce, l'industrie et le déficit budgétaire. En effet, les politiques relatives au commerce et à l'industrie ont une incidence sur la stabilité des prix, dans la mesure où elles pourraient entraver la libre circulation des marchandises et la découverte des prix. Reste à savoir si la proposition de généralisation des droits de douane n'est en fait qu'un levier d'influence, ou s'il s'agit d'une mesure non négociable pour le président américain.
En ce qui concerne la gestion de la dette, le gouvernement américain a la réputation bien méritée d'être dépensier. Le déficit public américain est tel qu'il place le pays à la limite de la faillite. Toutefois, en raison de l'augmentation de la productivité, la croissance économique pourrait être suffisante pour le placer sur une trajectoire plus gérable. Et tant que la croissance économique reste supérieure au coût du capital, le marché peut se révéler étonnamment tolérant à l'égard des déficits persistants. Cependant, les investisseurs ont une limite, une ligne rouge dont le franchissement pourrait donner lieu à une très forte réaction du marché qu'il serait difficile de maîtriser.
Incidence sur les investissements : la courbe de rendement
Il convient pour les investisseurs d'examiner les événements politiques et stratégiques de cette semaine sous des prismes multiples : les retombées à court terme, qui dépendent des données actuelles, représentant un premier prisme. La politique commerciale de Donald Trump a déjà entraîné une hausse des rendements obligataires sur l'ensemble de la courbe. Comme la Fed surveille l'inflation de plus près, les échéances plus courtes, plus étroitement corrélées aux taux directeurs, pourraient rester dans leur nouvelle fourchette, légèrement plus élevée. La partie plus longue de la courbe étant largement tributaire des prévisions relatives à l'économie et l'inflation, nous nous attendons à ce que la volatilité perdure, tant que les investisseurs cherchent à obtenir davantage d'information sur le programme du nouveau gouvernement. Cette partie de la courbe s'est également probablement réinitialisée dans une fourchette plus élevée.
Figure 2 : Courbe de rendement des bons du Trésor américain
Non seulement l'inversion de la courbe de rendement des bons du Trésor américain a pris fin, mais les rendements de toutes les échéances sont également repassés dans une fourchette plus élevée, le marché anticipant un nouveau régime de taux et peut-être un risque d'inflation plus important sur les échéances plus longues.
Source : Bloomberg, au 7 novembre 2024.
Le rendement des bons du Trésor à 10 ans dépasse celui des bons à 2 ans seulement depuis septembre. Néanmoins, l'écart entre ces deux échéances (12 pb) ne représente qu'une fraction de sa moyenne à long terme (environ 100 pb). Cette absence de prime de terme, associée à l'incertitude économique et politique, rend incertaine l'obtention de ce rendement supplémentaire, au vu de la volatilité du marché qui devrait s'inscrire dans la durée.
Incidence sur les investissements : un ensemble d'opportunités d'envergure mondiale
Les effets d'un nouveau régime économique américain se feraient sentir au-delà des frontières. Les banques centrales européennes ont déjà décidé de réduire les taux d'intérêt pour soutenir les économies en difficulté dans la région. Une politique américaine plus favorable à la croissance ne ferait qu'exacerber l'écart entre l'Europe et les États-Unis. Le régime de taux plus élevé qui accompagne la croissance aux États-Unis – potentiellement du fait d'une croissance de l'économie réelle et de l'inflation plus élevée – pèserait sur les devises des marchés avancés et émergents à mesure que les flux d'investissement se déplaceraient vers les États-Unis. Les opportunités et les risques présentés par cette divergence renforcent par conséquent la nécessité d'adopter une approche globale dès lors qu'il est question d'allouer des capitaux sur les marchés obligataires à moyen terme.
Un plan économique qui donne la priorité à la croissance devrait favoriser les actifs plus risqués. Si les principales bénéficiaires devraient être les actions, le marché obligataire ne devrait pas être en reste. En effet, les emprunteurs à haut rendement devraient se sentir moins contraints de se désendetter à mesure que leur capacité à générer des revenus s'améliore. En revanche, nous sommes légèrement plus neutres sur les émissions « investment grade », compte tenu des valorisations actuelles et de leur plus grande sensibilité à la volatilité des taux d'intérêt.
Les crédits titrisés présentent un certain potentiel de surperformance, du fait de la vigueur de l'économie qui pourrait augmenter la valeur des actifs sous-jacents. Et comme les politiques et la croissance divergent d'un pays à l'autre, les investisseurs ont la possibilité de découvrir des opportunités dans les régions où les taux sont en baisse et où les valorisations de crédit semblent plus attrayantes.
Tirer parti des expériences passées
En conclusion, nous pensons que la trajectoire de la politique monétaire américaine sera à la fois dépendante des données et indépendante de la politique (gouvernementale). Toutefois, cela implique implicitement que les seconds guideront les premiers. Aussi Jerome Powell et son successeur éventuel devront-ils déterminer quand et comment les conditions actuelles seront affectées par les priorités de l'administration. Si des initiatives pro-croissance, potentiellement inflationnistes (sous la forme de droits de douane punitifs), sont défendues, la Fed devrait plus facilement accepter un taux neutre plus élevé pour ce cycle, afin d'éviter de répéter l'erreur commise au sortir de la pandémie.
Rendement des bons du Trésor à 10 ans : taux d'intérêt des bons du Trésor américain qui arriveront à échéance 10 ans après la date d'achat.
Le point de base (pb) est égal à 1/100 de point de pourcentage. 1 point de base = 0,01 %, 100 points de base = 1 %.
Inflation sous-jacente: mesure de l'inflation qui exclut les composantes volatiles des prix comme les denrées alimentaires et l'énergie.
Obligation à haut rendement : une obligation dont la cote de crédit est inférieure à celle d'une obligation « investment grade », également appelée obligation « sub-investment grade » ou « junk ». Ces obligations comportent généralement un risque plus élevé de défaut de paiement de l’émetteur, de sorte qu’elles sont généralement émises avec un taux d’intérêt plus élevé (coupon) pour compenser le risque supplémentaire.
Investment grade : obligations généralement émises par des gouvernements ou des entreprises dont le risque de défaut de paiement est perçu comme relativement faible, ce qui se traduit par une note plus élevée attribuée par les agences de notation du crédit.
Fin de cycle : phase du cycle économique au cours de laquelle la croissance ralentit lorsque l'économie atteint son plein potentiel, que les salaires commencent à augmenter et que l'inflation s'accélère, entraînant une baisse de la demande, une chute des bénéfices des entreprises et enfin une récession.
Politique monétaire : mesures prises par une banque centrale visant à influencer le niveau d'inflation et de croissance d'une économie. Les outils de la politique monétaire comprennent la fixation des taux d'intérêt et le contrôle de la masse monétaire. Politique de relance ou politique accommodante : stratégie des banques centrales qui consiste à augmenter l'offre de monnaie et à réduire les coûts d'emprunt.
Taux neutre/taux terminal :les économistes désignent le taux neutre comme le taux d'intérêt final lorsque les prix sont stables et que le plein emploi est atteint. En d'autres termes, il s'agit d'un taux d'intérêt naturel qui n'est ni accommodant ni restrictif et qui, à ce titre, est considéré comme un taux d'équilibre.
Actifs risqués : titres financiers dont le prix peut varier de manière significative (et qui présentent donc un degré de risque plus élevé). Il s'agit par exemple d'actions, de matières premières, d'obligations immobilières à haut rendement ou de certaines devises.
Treasuries/bons du Trésor américain : titres de créance émis par le gouvernement américain. En achetant des emprunts d'État, l'investisseur devient un créancier de l'État. Les bons du Trésor et les emprunts d'État américain sont garantis de plein droit et bénéficient du crédit accordé au gouvernement des États-Unis. Ces obligations sont généralement considérées comme exemptes de risque de crédit et offrent généralement des rendements inférieurs à ceux d'autres titres.
Courbe des taux : il s'agit d'un graphique qui représente les rendements d'obligations de qualité similaire en fonction de leurs échéances, couramment utilisé comme indicateur des anticipations des investisseurs quant à l'orientation économique d'un pays.
Informations importantes :
Titres obligataires : obligations soumises aux risques de taux d'intérêt, d'inflation, de crédit et de défaut. Lorsque les taux d’intérêt augmentent, le prix des obligations baisse généralement, et vice versa. Obligations à haut rendement, ou « junk bonds », impliquent un risque plus élevé de défaillance et de volatilité des prix.Titres étrangers (hors États-Unis), dont dette souveraine : titres soumis aux fluctuations monétaires, à l'incertitude politique et économique, à une volatilité accrue et à une liquidité réduite, autant de facteurs qui sont amplifiés dans les marchés émergents.
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